TataPep’s

On ne peut pas commencer cette histoire autrement que par une mise au point lexicale, c’est ainsi. Certaines histoires débutent par « il était une fois », d’autres par de grandes et majestueuses descriptions portées par de belles envolées lyriques, mais celle-ci ne peut démarrer que par le lexique, le personnage principal « Tatapep’s » ayant sa propre façon de penser et de voir le monde, de déployer toutes les possibilités qu’offre la langue, même légèrement contrariée
Nourrouture, pour nourriture….
Contraventions pour contractions

Nous compléterons au fur et à mesure, et dresserons un glossaire en fin d’ouvrage, si besoin. Bien qu’il y ait de fortes chances que vous vous soyez si familiarisé avec elle et son verbe haut, que vous n’en ayez plus besoin !
Car le plus important est bien de comprendre qui est Tatapep’s et puisque c’est le langage qui véhicule les idées, de saisir toutes les subtilités du sien, original, irrévérencieux et savoureux à souhait. Le mot tombe toujours à côté de sa plate signification académique, mais toujours en plein cœur du sens que Tatapep’s veut vraiment lui donner.
Elle l’amplifie, y injecte de la drôlerie : la joyeuse approximation pique, titille et invite à l’échange !
A tout bien y réfléchir, ça a peut-être bien commencer par un traumatisme, cette drôle de manie cabotine qu’avaient pris les mots de se dérober sous sa langue, lui jouer des tours, s’intervertir pour mieux exprimer avec humour leur générosité, plutôt qu’une rigide exactitude sémantique.
Enfant, Tatapep’s avait présenté des difficultés d’élocution en langue française. Sa langue butait sur le prénom « Verorique », que sa sœur ainée et première mère de substitution, Ma’ Rekidésade, avait pris la lourde responsabilité de redresser à coup de bâtons, ceinturons, brimades et punitions. « Verorique « finit par devenir Veronique, mais bouleversa définitivement son rapport aux mots.

« Is it a girl or a woman”?
(Tatapép’s)

1– A girl and a woman……..

Tatapep’s avait grandi avec Tatamim’s entre une trinité de mères composées de leur maman Nginya Mouto, et leurs deux grandes sœurs, adultes et déjà mères, Ma’ Relou et Ma’ Rekidésade.

Dans cette ordre matrilinéaire, Tatamim’s et Tatapep’s occupaient alternativement les rôles assez ingrats de petites domestiques et baby-sitter.
Tatamim’s était la plus câline et dorlotante : elle aimait Balavoine, Mike Brant et Mickael Jackson dont elle portait le même curly, une coiffure ondulée, noyée sous des tonnes de gel liquéfié. Tatamim’ s tenait plus de l’amie que du kapo : elle racontait des contes, ou chantait tous les soirs de douces chansons pleines d’espoir, en des lendemains heureux.
Tatapép’ s mimait l’attitude de ses sévères ainées, et apportait rigueur et précision réconfortante aux rituels quotidiens qui ponctuaient la vie de famille.
Tatamim’ s et tatapép’s fréquentaient le même lycée professionnel, à plus d’une heure de trajet du domicile familial. Adolescentes, elles assumaient déjà la charge cognitive de quadra surbookées, ayant job et enfants : réveil, douches, petit-déj, encas des déjeuners-crèches-école maternelle et primaire- bus-train-métro-Lycée.
Dans cette course effrénée, Tatapép’ s était la plus douée : son ballet chorégraphique matinal frisait la virtuosité. Elle ne ratait jamais un bus, un train ou un métro, et était toujours immanquablement à l’heure. Même lorsqu’on oubliait de passer à l’heure d’été, ou d’hiver.
Tatamim’ s douce rêveuse, était en revanche toujours en retard, à tel point que le proviseur les ayant convoqué toutes les deux, s’étonna qu’elles puissent habiter la même demeure, partir en même temps et l’une arriver à l’heure, tandis que l’autre était systématiquement en retard.

Cette excessive ponctualité fût même à l’origine d’une véritable crise familiale, lorsque deux ou trois ans plus tard, après que Tatapépé ait fait entrer l’une de ses grandes sœurs, Ma’ Relou dans un job d’été, particulièrement matinal puisqu’il était question de nettoyer les bureaux avant l’arrivée des employés. Ma’ Relou était encore pire que tatamim’s en matière de retard : ça frisait l’expérience sociale ou la tare pathologique, tant elle mettait un point d’honneur à répéter, matin après matin, ce fatidique retard. Un jour, leur responsable leur fit la même remarque que le proviseur. Sur un ton un peu plus haut cependant : il la payait ! Mais probablement pas assez pour qu’il s’autorise sans risque à user de ce ton avec elle : le seau plein de Ma Relou finit sur sa tête.
Sa susceptibilité avait été touchée, et une réunion de famille qui tenait plus du tribunal, fût organisée dans l’appartement familial où oncles et tantes s’étaient tassés autour du gargantuesque repas dominical.

Chef d’accusation : Tatapép’s en faisait trop ! On aurait dit une white
.
Pièces à conviction : Elle n’était jamais en retard. Elle écoutait Chérie F.M. Elle n’avait pas d’accent, même lorsqu’elle s’énervait. Elle était très radine et ne prêtait jamais ses affaires, depuis les premières heures du primaire. Il se disait même qu’elle avait secrètement appris à faire du ski et, non contente de savoir nager, excellait tellement en nage indienne qu’elle pouvait plonger dans l’eau avec un brushing, et ressortir avec un côté toujours lisse !
Ma Relou affirmait avoir été renvoyée par sa faute, en raison du contraste trop évident entre son ridicule zèle, et les inévitables retards de tout usager « normal » du RER B !
L’argument du RER B fit mouche : On allait plus vite en longeant les rails à pied qu’en étant assis dedans !
Un oncle intervint cependant en sa faveur : on ne pouvait accuser une personne qui faisait si bien le ndolé, à la façon de leurs ancêtres, de vouloir copier les blancs. Elle lui en servait toujours de larges parts, qui plus est.
Sa nièce Coffy intervint aussi en rappelant à tous l’épisode des bonbons.

Témoignage : L’épisode des bonbons. Un jour que Coffy tournait en rond à la récré, à la même vitesse que les gargouillis de son ventre, elle plongea les mains dans ses poches afin de les protéger du froid et y trouva contre toute attente, un mars, un raider, un bounty, un ballisto, un nuts, un Lion, Yes, Galak, Milky way, tout un assortiment de barres chocolatées qu’elle n’avait encore jamais eu l’occasion de posséder simultanément ! Le soir même, elle se hâta de remercier Tatamim’s, qui lui révéla ne pas être à l’origine de cette surprise. Elle alla trouver ses oncles, ses tantes, sa mère, sa grand-mère, et tous lui répondirent à la négative. Elle ne prit même pas la peine de demander à la sévère Tatapép’s qui était pourtant celle qui avait eu cette délicate attention, ce qu’elle devait découvrir, avec honte, des années plus tard.

« Oui, mais et le chien ? Demanda une tante aussi amère que le ndolé avant-cuisson, alors que l’assemblée s’attendrissait à ce souvenir.

  • Quoi le chien ? interjeta le juge, le flegmatique tonton Barnabé
    La matrone ne se démonta pas :
  • On nous a dit qu’il y’a eu un chien ici ! Oui, oui ! Et il parait que c’est elle qui l’a ramené ! Nous les noirs ne vivons ni avec les chiens, ni avec les chats. Un poisson rouge, à la limite….même si j’ aurai toujours une préférence pour le Tilapia ou encore le capitaine, qu’on peut braiser !
  • Nginya Mouto ?! lança tonton Barnabé à l’attention de la matriarche, Ne nous dis pas ça ? C’est vrai ? Le chien qui aboie ? Et il s’appelle même comment ? On va l’appeler pour voir si c’est vraiment vrai…Les chiens des blancs répondent toujours à leurs noms.
  • Il n’a jamais eu de nom. On l’appelait seulement le chien. Il est parti comme il est venu. Ce n’est pas que je veux la défendre hein….Mais je ne l’ai même pas vu trop le caresser ou le promener, hein. On ne lui a jamais acheté de Whiskas…
  • Okoo, Nginya Mouto , tu ne sais pas que le Whiskas est pour les chats ! Mais c’est alors normal que « le chien » soit parti, si vous l’avez pris pour un chat !
    La remarque Tonton Barnabé fit rire l’assemblée que ce dernier fait d’armes, avait convaincu : les chiens sont très attachés à leurs maitres (souvent blancs), si le sien était parti…
    VERDICT : Tatapép’s se comportait bien comme une noire.

« Tu veux une tarte ? »
(Tata pépé)
On lui répondait toujours : « Ca dépend. A la fraise ou au citron ? »

2- TTT, Tata-tout-terrain

Cela n’était pas tout à fait l’avis des autres groupes sociaux. A commencer par les blancs eux-mêmes. Avec Tatapép’s, ils ne voyaient effectivement pas les couleurs. Elle s’entendait particulièrement bien avec ceux du terroir dont l’accent, la diction et le vocable tirant parfois sur le patois, s’accordaient à merveille avec sa propre créativité langagière. Lors d’un mariage aux allures carnavalesques dans le nord de la France, on ne cessa de la féliciter sur son blackface réussi.
Et à l’anniversaire de sa meilleure amie, dont la communauté au long passé esclavagiste avait toujours eu du mal avec les femmes non mariées, sans couvre-chef et légèrement vêtue, l’accueillait toujours chaleureusement, malgré son afro ras, son profond décolleté et son enfant né hors-mariage. Sa nièce Coffy, qui l’accompagnait, passait beaucoup moins bien qu’elle.

  • Ils sont racistes, affirmait-elle à TTT (Tata-tout-terrain), je le sens !
  • Mais qu’est-ce que tu racontes enfin…Ils t’ont fait un excellent accueil. Quelle ingrate tu fais.
  • Je viens d’entendre mon voisin de table commander 3 esclaves sub-sahariens en Lybie à un militaire, ou un mercenaire, occidental…Ils semblaient parler des fluctuations de ce marché, le Traffic humain, comme du cours de la bourse !
  • Mais qu’est-ce que tu racontes, enfin…t’as trop d’imagination ! Tu devrais écrire, tiens !
  • Ouais, ben je vais d’abord commencer par changer de place avec toi, puisqu’il semble te prendre pour une des leurs…des fois qu’il lui viendrait à l’idée de me coller un code-barre sur les tempes !
    Le type en question interpella Tatapép’s , concernant Coffy qui portait une discrète crème teintée anti-UV, et laissait ses cheveux afro librement défier la gravité:
  • Ta nièce là….pourquoi, elle reste pas naturelle ?
  • De quoi tu parles ? Elle est naturelle, ce sont ses cheveux ! Et c’est sa peau.
    La question était d’autant plus saugrenue qu’il était escorté d’une bimbo aux imposants faux-cils grossièrement frangés, et dont ni les extensions made in India, ni le teint made in China, lourdement contouré, n’étaient d’origine. Un doute subsistait néanmoins sur les deux obus qu’elle avait à l’avant, et les deux bosses lui servant à l’arrière de coussinets intégrés, très utiles sur les rustiques sièges en bois de la salle des fêtes communale.

La plus française des africaines…le whitisage, lui-même est étonné!

3- Tata-Jolie-cœur :
Les autres groupes sociaux n’acceptaient pas seulement Tatapép’s. Ils la désiraient également. Elle a été à une époque de sa vie très mince et élancée, avec une taille plus fine que celle d’une guêpe. Puis à une autre, ronde et épanouie, avec des formes pleines et voluptueuses. Etrangement, elle a toujours gardé le même visage poupin aux traits fins, quelque soit sa morphologie ou son âge. Sa beauté simple et immédiatement accessible restait inaltérée. Une beauté universelle qui était, qu’elle fasse un 38 ou un 46, très largement appréciée. Même des techniciens venus poser le double vitrage, et vérifier l’état des radiateurs. L’un d’eux en particulier, rappela le lendemain, en demandant à parler « à la mère de la petite métisse ». S’en suivit un rendez-vous amoureux, en bonne et due forme. Le premier depuis longtemps pour Tatapép’s, toute dévouée à sa famille. Elle s’était coiffée, maquillée, avait enfilé une belle robe, avant de se glisser dans sa voiture un samedi soir et de se rendre comme tant de couples, impatients de mieux se connaitre, au restaurant.
La petite métisse qui n’avait jamais eu de problème de santé particulier, fit ce jour-là une montée de fièvre phénoménale d’après Ma’ Relou. Et de spectaculaires crises de larmes qui aggravaient sa fièvre. La petite était inconsolable et réclamait sa maman. Ma’ Rekidésade fulminait, tempêtait, s’indignait en faisant les cent pas, impatiente de demander à cet homme qui soustrayait une mère à ses obligations, et exposait une fille de bonne famille à l’indignité, quelles étaient exactement ses intentions. Bien qu’il ne s’agisse que du premier rendez-vous et que Tatapép’s ait largement dépassé la trentaine. Mais, semble-t-il, pas l’âge de se faire gourmander.
Jalouses et inquiètes, mais peut-être plus jalouses qu’inquiètes, les deux sœurs ainées qui ne voulaient pas non plus assumer cette responsabilité, pourrirent littéralement la matriarche, Nginya Mouto, afin qu’elle demande, non sans avoir tenté de résister, à sa benjamine d’écourter sa soirée et de rentrer.

Fraiche comme le poisson sorti tout droit du Wouri (C’est quand même moins risqué que la Seine !)

4- Mariage en Espagne

Les occasions de rencontrer quelqu’un qui lui correspondent, se firent plus rares avec le temps…
Mais il y avait toujours les interminables veillées mortuaires, dont les programmes devenaient de plus en plus festifs, au point que les pasteurs chargés de l’office couplaient leurs prestations à celle de DJ et troupes de danse folklorique. Et bien sûr, les inévitables mariages.
Tatapép’s fût conviée, à l’un d’eux, par un neveu. Une amie de ce dernier, dont elle avait conçu le voile de cérémonie, se mariait en Espagne, et l’invitait. Le mariage était aussi l’occasion de profiter le temps d’un week-end d’une belle villa en bord de mer, et d’une météo ensoleillée.
Tatapép’s, qui sortait peu, n’avait pas lésiné sur les moyens pour y paraitre à son avantage : coupe courte cranté à la façon des années folles, robe glitter, escarpins hauts et maquillage satinée. Elle avait retrouvé en quelques heures l’éclat de sa jeunesse, au point de sembler être l’amie à peine plus âgée de celle que, de toute façon personne ne prenait jamais pour sa fille.
Les mariés avaient veillé à ce que le plan de table optimise ses chances de rencontres, avec de charmants hommes d’âge mur aux sourires aussi avenants que leurs situations sociales étaient enviables.
Et cependant, sa table resta vide un certain temps, avec une dénomination sur le carton, assez dérangeante qui la présentait un peu trop familièrement: Tata P.

  • Maman, tu as vu ? Hurla sa fille, tu as vu comment ils ont écrit ton nom….TATA P. ?!!!
  • Tu n’es pas non plus obligé d’en rajouter en activant le mode haut-parleur. On t’as entendu jusqu’à l’autre bout de la salle ! C’est bien la peine de quitter le territoire français pour rester « tatapep’s» même à l’autre bout du monde. Même cendrillon arrive anonyme au bal !

Une contrariété n’arrivant jamais seule, elles furent très vite rejointes par une alliance, une amicale ou tout autre cercle gériatrique car leur table fût envahie de personnes âgées, en un rien de temps : qui tapant en rythme de la canne en s’avançant vers la table, qui se déhanchant sur un déambulateur, qui redressant son dos vouté avec allégresse au son endiablé de la musique latina !
Parmi eux, Pépé Tata, le fameux Tata P., grand-oncle du marié dont on avait inversé la place et qui s’était retrouvé, quelques minutes plus tôt, entouré de fringants jeunes hommes !

  • Eh ben ma foi, je préfère les jeunes dames, dit-il sans se démonter, en agrippant la main de tatapep’s qui se défilait discrètement.
    Ni elle, ni sa fille n’eurent le cœur à briser le sien, et elles restèrent finalement assises à cette tablée de joyeux lurons qui prouvaient que l’âge n’était bien qu’un chiffre. Tatapép’s ne rencontra certes pas l’homme de sa vie, mais elle passa une excellente soirée.
    Elle eût surtout le sentiment, impression que renforça cette improbable quasi-homonymie, de retrouver son identité véritable, d’être enfin elle-même, tout simplement Mariette. Tatapép’s appartenait à la communauté : à la famille tout d’abord, avec ses exigences et attentes gloutonnes. Au clan ensuite, régi par des règles et lois démiurgiques. Puis au voisinage, aux amis, et jusqu’aux amis d’amis. Mais Mariette, n’appartenait qu’à elle-même. Dans l’absolu, personne n’appartenait à personne. Elle le savait bien ! La liberté et le droit de se réaliser, indépendamment des autres, était un droit inaliénable. On ne vivait qu’une fois, et a priori, pour soi.
    Mais le savoir n’en faisait pas pour autant une réalité quotidienne. Au contraire. Et à mesure qu’elle dansait joyeusement avec pépé Tata et ses comparses, sans s’inquiéter de l’image qu’elle renvoyait ou de plaire à qui que ce soit, Mariette, autre version de Tatapep’s la rendait peu à peu à elle-même !

La coiffure préférée de tatapep’s……La boule à Z !
Rapide, simple, efficace !
« Et zoliiiiieee !!!! »

5- Couture

Tout comme sa mère avant elle, Mariette était couturière. Elle l’a toujours été, même bien avant d’être diplômée d’une grande école de modélisme et d’avoir passé plusieurs années comme cheffe d’atelier, puis de travailler à son compte et à mi-temps, sa mère dont elle s’occupait alors, étant tombée malade.
Sa passion pour le vêtement avait cessé d’être un gagne-pain, et était devenue sa survie quotidienne, son sas de bien-être, son grand bol d’air iodé en zone urbaine sur-polluée ! Sa spécialité était le « vêtement feeling-good » : autant dire qu’elle ne gagnait pas un sou vaillant avec. Ses clientes venaient pour une retouche rapide, et gagnées par l’esprit de l’endroit pouvaient ensuite rester tranquille à patienter des heures sous la pergola de Mariette en sirotant une boisson chaude, entre deux crêpes fines comme une belle dentelle brodée. Le jardinage était son autre passion, servie par une main si verte qu’elle pouvait faire pousser un luxuriant oasis en plein désert aride. Qu’il s’agisse de couture ou de jardinage, la patience restait le maitre-mot.
Les clientes patientaient, revenaient, tâtonnaient d’essayages en essayages sous le gai babil d’une Mariette appliquée.
Parfois, certaines étaient même prêtes à patienter dans le vent, comme cette béké frappant trois coups secs et pressés à la porte et qui après s’être enquis de la présence de Mariette, alors absente, se fraya naturellement un passage comme un lierre grimpant à la croissance démesurée, jusqu’au salon où elle planta ses racines pour cent ans sans solitude. Si ce n’est plus…
Mais lorsqu’au final, le vêtement et la cliente finissaient par se rencontrer et à matcher, c’était le jackpot pour tout le monde : la cliente comme la couturière. On entrait dans la vraie dimension du bien-être, du vêtement-ami, du feeling-good textile !

Marque-page by Bony Couture
(Collab’ avec Edoplumes….placement discret de produit^^)

6- Sa fille, la petite métisse devenue grande…


Comme la femme de Colombo, série que Mariette affectionnait au point d’en maitriser toutes les intrigues et chaque réplique, la fille de Mariette impénitente voyageuse à la vie palpitante, était quasi invisible. Aussitôt arrivée, déjà repartie. Les destinations s’enchainaient et étaient autant de parties de devinettes pour qui les recueillaient auprès de Mariette : Sawoul pour Séoul, Tombouton pour Tombouctou, Tchekovski pour Tchécoslovaquie…..
Les clientes de la retoucherie et des cours de couture qu’elle animait davantage pour créer du lien social qu’arrondir ses fins de mois, participaient de bon cœur à cette « chasse-au-nom », mais ne croyaient pas un mot des paroles suivant leur trouvaille. Il leur paraissait évident que, coincée entre une mère malade et une multitude de taches chronophages liées à sa mission de garde-malade, Mariette s’était inventé, comme les enfants de 5 ans, non pas un ami mais une fille imaginaire.
Surtout que la fille en question…était blanche ! Et tellement connue que le mensonge en devenait grotesque !
Il s’agissait de la « Mary kondo de l’extrême », Marilou, plus connue sous le nom de SyllyGOgirl, et son célèbre leitmotiov : « Go go go GO Giiiiiiiiiiiiiiiiirl ! ». Elle avait des millions de followers et une chaine qui cartonnait, à destination des personnes télégéniques souhaitant en finir avec la syllogomanie…Un mal qui semble avoir aussi fatalement atteint les 3 sœurs, y compris Mariette mm si c’était à un degré moindre. Difficile d’établir dans ces conditions une filiation crédible.
Pourtant Marilou franchit un jour, telle une belle fleur de printemps, au ralenti, dans un fondu enchainé suivi d’un savant flou artistique, les portes de l’atelier de sa mère et malgré son irrémédiable blancheur, leur ressemblance, côte à côte, était frappante : même traits et expressions du visages, même tics, mêmes gestes parfois simultanés. Et surtout un amour inébranlable et un immense respect mutuel. Les clientes n’en revenaient pas.
Ce jour-là, Tea, la fille de Coffy effectuait son stage de troisième (celui qui ne sert strictement à rien d’autre que vérifier la maitrise de la mise en page sur Word) auprès de Mariette, techniquement sa grand-tante, appellation qui aurait pu la foudroyer net, aussi restait-elle invariablement pour toutes les générations qui se succédaient Tatapép’s, pour des siècles-et-des-siècles-Amen !
La caméra de Marilou put filmer et faire la promotion des marque-pages que Coffy, écrivain en devenir-devenue chômeuse, avait commandé à sa mère Mariette et qu’effectuait la fille de Coffy, Tea, seule élève du pays à faire un stage exigeant un peu plus d’effort que déplacer sa masse corporelle d’un espace à un autre, et éventuellement lever le temps en temps un œil- pas les deux en même temps non plus, faut pas déconner– de son écran de portable.
Elle envoyait d’ailleurs à sa mère par SMS, la photo d’un des marque-pages, plus ou moins réussi.

——————————SmS—————————————-
Coffy : J’avais dit « attaché de foulard ethnique « . Celui que vous venez de faire est un genre « gangsta ». Elle a attaché son foulard comme Tupac. #ThugLife
Daughta : Tatapep’s vient de rigoler, elle dit que puisque c’est comme ça, tu feras tes attachés de foulard sur les marque-pages, toi-même.
Coffy : [Photo de Tupac Shakur, dessiné] Est-ce que je mens alors ? Il ne lui manque que les doigts en V. #ThugLifeForever
Daughta : MDR, TataPép’s a dit qu’elle sait pas faire ! Son truc, c’est la couture, pas la coiffure.
Coffy : Ok, je le ferai. Je veux pas qu’on se retrouve avec un gang tout droit sorti du Bronx en guise de figurines/marques-pages.
Daughta : Rires 😊

——————————Fin des SmS——————————————-

7- Bon, et Dieu dans tout ça ?

Dans un contexte où le rapport à l’Autorité, cristallisé par la verticalité et la soumission servile aux ainées, était d’emblée faussé par des substituts comme l’oppression, la domination, l’exploitation, l’atteinte aux droits et l’exercice disproportionnée de la puissance (qui ne respectait que la puissance !),
par quel miracle Mariette avait-elle réussi à bâtir une relation équilibré et respectueuse avec sa propre fille, Marilou, tout comme Coffy avec la sienne, Tea ?

Eh bien, la première relation respectueuse qu’elle avait eu, était tout simplement celle qu’elle entretenait avec Dieu. Sa foi l’avait toujours porté, autant qu’elle portait en elle la Foi, parfois au-delà de ses propres limites.

Le pasteur qui l’avait baptisé et inspiré, un géant néerlandais rieur et bourru, avait insufflé à la paroisse l’esprit bobo-folk et bienveillant des pays du grand froid : retraite spirituelle en chansons autour de feu de bois, et caté pieds nus dans la Nature. Epicurien et adepte des premières heures de la « sobriété heureuse », il avait surtout prêché par l’exemple le gout du bonheur simple et des voyages à travers de nombreux programmes d’échanges culturelles. Mariette avait ainsi pu voyager à travers l’Europe : Pays-Bas, Allemagne…Et elle avait, à son tour, transmis à sa fille, cette appétence pour le large et la découverte. Lorsque le grand pasteur luthérien quitta la paroisse, Mariette resta : elle avait trouvé sa vocation. Elle allait enseigner aux enfants la parole de Dieu.
Elle découvrit que l’église, c’était aussi une petite entreprise qui évoluait au gré des personnes qui la composaient : au pasteur de son enfance avait succédé un pasteur Bécébégé perdu dans la jungle urbaine, puis un pasteur pragmatique aux méthodes managérialistes, qui aurait pu raccrocher une cravate à son colleret blanc. Le conseil paroissial était toujours l’occasion d’échanges animés. Mariette qui attachait beaucoup d’importance aux Noëls des enfants, devait défendre ce budget avec la vigilance et pugnacité d’un gardien de but !
Ce noël-là, une émission de télé à forte audience avait prévu de venir filmer la chorale. Ah, la chorale…autre point de dissonance ! La réunion pour choisir le tour de chant avait failli tourner à l’incident diplomatique, chaque membre du conseil voulant imposer les spécificités culturelles de son pays d’origine. Notamment deux cerbères, arrivant toujours au culte, après la quête, et entonnant toujours plus haut le psaume final, avec un aplomb désarçonnant. Celui-là même qui leur permettait d’affirmer avoir déjà participé lorsqu’on leur présentait la boite à offrande.

Quêteur: Hum….hum…

Cerbère1: Quoi?

Quêteur: Hum…hum….je ne crois pas avoir entendu le tintement de vos pièces…hum!

Cerbère2: C’est normal, c’ était un billet! Et puis, qui se ballade encore avec des pièces à l’heure de l’immatériel….immatériel, tout comme notre foi!

Cerbère1: Oui, tout à fait! As t-on besoin de voir pour croire? Hum? Parce que vous ne nous avez pas vu glisser ce billet, vous doutez de son existence…homme de peu de foi?

Quêteur: Je crois au Saint-Esprit, pas à l’invisibilité de l’homme! Vous n’étiez pas là lors du premier passage. Renouvelez votre stock d’excuses ou de pièces….Vous nous avez déjà fait le coup de l’homme insivible, trois fois successives ce mois-ci. Que Dieu vous bénisse!

Comme dans toute organisation sociale où le facteur humain est au centre des échanges, les frictions étaient, même à l’église, inévitables.

Et pourtant, s’opérai à un moment donné, via la communion de la prière, cette symbiose des âmes dans le recueillement, un petit et bref miracle qui effaçait les divergences et rassemblait chaque paroissien, le riche, le pauvre, le vieux, le jeune, le sain, l’éclopé, le grand, le petit, le français ou l’étranger, dans le partage d’une même Foi vivante et organique qui les reliait en cet instant, les uns aux autres.

Ce Noel, la caméra de l’émission filma Mariette en chef d’orchestre improvisé, distribuant les rôles de la crèche de Noel aux enfants distraits et heureux, participant discrètement aux chants liturgiques teintés de rythmes tropicaux et disposant dans l’arrière salle le repas de réveillon aux saveurs plurielles : du couscous envoyé par son amie via le trader et sa Bratz qui passaient en voiture, aux bons poissons que sa trinité de mères, avait généreusement et patiemment mis des heures entières à braiser.

PSAUME CHANTE-243

 » Ô Grand Dieu, nous te bénissons ;
Nous célébrons tes louanges !
Eternel, nous t’exaltons
De concert avec les anges,
Et prosternés devant toi,
Nous t’adorons, ô grand roi ! »

Vous voyez !
Pas besoin de glossaire….
Vous parlez déjà le « Tata Pep’s ».

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